Maud Minoustchin participe aux Rencontre d’experts : Spécial transition énergétique

Alors que le mix énergétique français dépend encore à plus de 60% des énergies fossiles, les acteurs économiques multiplient les projets d'énergie renouvelable et entament une phase de décarbonation sans précédent sur le territoire français. Pour Jean Pisani-Ferry, la France devrait dépenser 75 Md€ par an pour avoir une chance d’atteindre les objectifs climatiques 2030/2050 ou du moins s’en approcher le plus possible. Mais si l'accélération est réelle ces derniers mois, les environnements micro et macroéconomique retardent certains projets.
État des lieux avec neuf acteurs clés du marché.

 

6 juillet 2023 - Magazine des Affaires

 

MdA : Après une fin d’année plus calme, quelle est la dynamique 2023 ?


Julien Lupion, BPIFrance : Il est vrai que le marché des énergies renouvelables a été impacté par l’inflation, la hausse des taux d’intérêts, globalement un environnement économique compliqué pour l’ensemble des acteurs. Ce qui a créé un gros effet d’attente et de suspension sur bon nombre de transactions au 2ème semestre 2022. Par contre, l’année 2023 marque une certaine dynamique aussi bien sur des très gros projets comme l’éolien offshore que sur des transactions plus classiques en solaire/éolien onshore. Suite à la crise énergétique et au soutien réglementaire, certains investisseurs ont repositionné leurs projets avec de nouveaux modèles d’affaires. Sans êtredans un marché hyper dynamique on n’a plus cet effet d’attentisme constaté en 2022.

Vincent Trevisani, Ashurst : Le marché du M&A dans le secteur de la transition énergétique, en particulier pour les actifs de production d’électricité renouvelable est plus contraint que précédemment. Les investisseurs et les développeurs de projets ont plus de mal à se mettre
d’accord sur les valorisations des portefeuilles d’actifs mis en vente du fait de nouveaux facteurs d’incertitude économiques. Les taux d’intérêt qui ont augmenté mettent à mal les plans de financement des actifs concernés ou les renchérissent. L’augmentation des coûts des matières premières renchérit aussi le coût de de construction des portefeuilles de projets en développement. Nous constatons que des deals M&A qui auraient dû être bouclés en 3 mois perdurent en raison de négociations prolongées ou capotent.

Charles Abbey, KPMG : J’ajouterais que tout dépend de la définition que l’on donne à la « transition énergétique ». J’ai le sentiment que, sur l’année écoulée, cette définition s’est fortement élargie et qu’on observe un appétit grandissant pour le sujet venant de tous les secteurs d’activité. A titre d’exemple, au salon du Bourget qui s’est tenu récemment, la transition a été une des thématiques prioritaires de ce salon. La prise de conscience de l’urgence climatique et les engagements de décarbonation grandissants annoncés par beaucoup conduisent l’ensemble des acteurs à chercher toutes les opportunités de contribuer à la transition énergétique, ce qui élargit le spectre, ajoute de nouvelles classes d’actifs et dynamise les marchés de la transition énergétique. En 2022 nous avons observé chez KPMG une forte montée en taille des transactions et une hausse de la valorisation sur les segments mature puis en 2023 de nouvelles thématiques que nos clients regardent. En exemples de secteurs naissants, je citerais le Biogaz, le stockage d’électricité et les batteries combinées à de l’éolien et du Solaire, les Corporate PPA, les Carburants Durables d'Aviation (SAF), les Giga Factories de batteries pour véhicules électriques et le renforcement de l'efficacité énergétique des bâtiments.

Pascal Cuche, Freshfields : Je suis d’accord avec ce qui a été dit. Aujourd’hui la transition énergétique touche tous les secteurs économiques. On a heureusement dépassé le stade auquel la transition énergétique se résumait à la promotion des seules énergies renouvelables. Tous les industriels sont entrés dans une logique de décarbonation de leur activité, ce qui engendre du M&A au travers de vastes opérations de réorganisation industrielle. L’automobile en est un bon exemple avec les opérations Horse et Ampère de Renault dans le cadre de la réorganisation de ses activités de véhicules électriques et thermiques. C’est un exemple mais il y en a plein d’autres. Quand on regarde les opérations sur lesquelles notre cabinet est positionné, bon nombre d’entre elles sont en réalité motivées de près ou de loin par des impératifs liés à la transition écologique au travers de la nécessaire “décarbonation” de leurs activités. Si on avait une vision macroéconomique et des données sur les transactions plus ou moins “drivées” par un souci de décarbonation, on serait surpris par le poids de cellesci dans le volume des transactions aujourd’hui.

 

MdA : Chez Alantra, Philippe vous avez peut-être quelques chiffres sur la dynamique M&A portée par la décarbonation dont parle Pascal ?

 

Philippe Sciorella, Alantra : En renouvelable, en France, il y a moins de projets comparés qui sortent et la loi d’accélération n’a pas encore eu l’impact souhaité ou du moins pas encore. Et les acteurs historiques ont dépassé le stade du renouvelable solaire/éolien, ils visent déjà les systèmes de batteries intégrés, hydrogène. Et les acteurs historiques passent aussi à ces technologies pour avoir du rendement. Les investisseurs infra comme Ardian sont passés sur des plateformes de développement plutôt que des actifs individuels n’apportant pas de rendement suffisant et les investisseurs PE traditionnels comme EQT sont également entrés sur ce segment, de même que les fonds type fonds de pension / assureurs ce qui a saturé la demande. Les acteurs comme Tikehau cherchent des business models de services, plus risqués et se rapprochant d’investissements PE classique et regardent moins le renouvelable qui n’est pas leur thèse d’investissement.

Agnès Rossi, Simmons & Simmons : Pour ma part, je suis plus globale que cela. La décarbonation c’est encore trop restreint je pense. Il faut parler de changement climatique. Nous parlons peu de la résilience des villes au changement climatique. L’adaptation des villes au changement climatique est un enjeu énorme.

Maud Minoustchin, Trocadero CP : Oui effectivement pour atteindre les objectifs de la transition énergétique, la marche est grande. Il faut à la fois décarboner en créant de nouvelles infrastructures d’énergies renouvelables, mais il faut aussi s’attaquer à la décarbonation des actifs existants. Cela rejoint ce que disait Pascal. Trocadero CP a lancé cette nouvelle stratégie il y a un an alors totalement émergente. Car si l’ambition est de décarboner conformément à l’accord de Paris, c’est l’ensemble du tissu productif qu’il faut mettre à contribution : tous les acteurs
utilisent des bâtiments, des moyens de transport et sont eux-mêmes source d’émission CO2.

Pascal Cuche, Freshfields : C’est vrai et je trouve que c’est assez nouveau. On sent que partout les acteurs sont en train de se structurer. On a dépassé le stade du discours “vert” pour entrer dans des stratégies industrielles globales centrées sur ces problématiques. Cela se traduit concrètement dans les organisations industrielles. Tous les grands groupes se structurent. La démarche est intégrée.

Maud Minoustchin, Trocadero CP : Les grands groupes sont maintenant soumis à des contraintes réglementaires et se mettent en ordre de marche. Dans le monde des PME/ETI, la crise énergétique de l’année dernière a vraiment permis aux dirigeants de prendre conscience que la dépendance aux énergies fossiles était source de fragilité économique et financière. Depuis ce basculement, je n’ai plus besoin de convaincre un dirigeant de l’importance d’engager une démarche de décarbonation, ne serait-ce que pour des raisons de résilience économique.

Philippe Sciorella, Alantra : On est encore assez en retard en France. Il y a encore peu d’acteurs qui proposent des offres alors que cela fait plus de dix ans que des acteurs de l’efficience énergétique ayant un business model ESCO existent aux Etats-Unis. Alors que c’est économique viable et qu’il pourrait y avoir un cadre d’investissement.

 

MdA : Philippine et Chloé, justement pour faire la transition avec ce que dit Philippe. Zilo Énergie est lancé avec l’idée d’aider les particuliers à opérer la transition énergétique. C’est bien cela ?

 

Chloé Roubach, Zilo Énergie : Effectivement, nous nous sommes lancés avec l’idée qu’il n’y a pas que les industriels et les grands groupes qui doivent s’emparer de la transition énergétique. Les particuliers aussi. Mais pour ce faire, il faut avoir des modes de production décentralisés comme le solaire en toiture. A ce sujet la France est très en retard par rapport aux autres pays européens notamment ses voisins. Il n’y a que 4% des maisons individuelles en France qui sont équipées de panneaux PV contre près de 20% en Allemagne et plus de 30% aux Pays-Bas. Le problème majeur pour les particuliers c’est que cela représente un investissement important. Avec Zilo, nous voulons accélérer la transition en levant toutes les barrières via un format d’abonnement leur permettant de consommer leur propre énergie sans investissement initial. C’est un modèle qui existe à l’étranger et notamment en Allemagne, où Enpal par exemple fonctionne déploie plus de 2 000 installations par mois.

 

MdA : L’avantage c’est qu’il y a déjà des modèles qui fonctionnent bien.

 

Philippe Sciorella, Alantra : Et cela marche bien, aux Etats-Unis certains fournisseurs ont entre 700 000 ou 800 000 clients. Cela vaut plusieurs milliards en Bourse.

Maud Minoustchin, Trocadero CP : Tout dépend du prix de l’énergie aussi. En France, nous avions grâce au nucléaire un prix de l’électricité le plus bas d’Europe.

Chloé Roubach, Zilo Énergie : Oui mais entre en jeu aussi le sentiment d’insécurité sur les prix. Les consommateurs veulent se mettre à l’abri de l’augmentation des prix, qui continuent d’augmenter malgré le bouclier et recherchent une indépendance énergétique.

Pascal Cuche, Freshfields : Effectivement. C’est l’énorme avantage de la production à base d’énergie renouvelable en décorrélant le coût de la production des évolutions des prix de marché des énergies fossiles. Comme l’a encore relevé RTE très récemment dans un rapport, la transition énergétique c’est deux dimensions indissociablement liées: côté offre, c’est produire différemment et produire beaucoup plus. Quel que soit le scénario envisagé à horizon 2035 par RTE, il va falloir produire beaucoup plus d’électricité. Plus vite on décarbone, plus on doit produire d’électricité. Les enjeux financiers sont colossaux mais cela reste quand même le volet le moins difficile à mettre en oeuvre au travers d’une programmation politique très volontariste et des mesures pour lever les freins existants. Si on met de l’argent et qu’il y a une volonté politique forte, cela doit marcher et c’est sous contrôle. Mais le volet offre n’est pas suffisant, il y a une seconde condition liée à la maîtrise de la demande d’énergie. A nouveau RTE explique bien que l’un ne va pas sans l’autre. Une politique de transition réussie exige de réussir sur les deux volets. Or cette seconde condition est à mon sens beaucoup plus compliquée à mettre en place, et c’est là que les nouvelles poches de business vont se créer. Le volet demande a lui-même deux dimensions: d’une part, il va falloir consommer mieux (par exemple remplacer sa vieille voiture polluante par une voiture électrique en usage partagé idéalement) et d’autre part consommer moins (réduire la consommation énergétique de son logement ou moins prendre l’avion par exemple). Parmi les grands challenges, on trouve les enjeux liés à la performance énergétique des bâtiments qu’ils soient publics ou privés, qu’il s’agisse de l’habitat ou du tertiaire. C’est un enjeu énorme: vous pouvez augmenter votre
production électrique autant que vous voulez si vous ne réussissez pas sur ce second volet, vous ratez la transition énergétique. Or, c'est une dimension bien plus complexe que la première. Le politique a beau être moteur - ce qui est indispensable par ailleurs - si les gens ne veulent pas changer parce qu’ils sont plus ou moins confortables avec leur situation actuelle ou à tout le moins que changer peut sembler plus compliqué ou coûteux que reste dans le statu quo, cela ne marchera pas. L’un des drivers de cette évolution est le prix de l'énergie. Si l'électricité reste subventionnée à des niveaux importants, il peut être tentant de ne rien faire. Autre sujet, il faudrait que tout le monde puisse avoir accès à des crédits avantageux pour pouvoir “verdir” leur logement, il me semble que les systèmes publics en place sont trop restrictifs et pas à la hauteur des enjeux.

Julien Lupion, BPIFrance : Pour rebondir à ce qui a été dit. Le choc énergétique a changé le rapport des consommateurs professionnels notamment aux prix de l’électricité. On constate que désormais les projets de production impliquant le consommateur final d’électricité se multiplient. Une importante partie d’entre eux est relative à l’autoconsommation ou au corporate PPA alors que c’était encore marginal jusqu’en 2021. Les consommateurs finaux sont maintenant très conscients de la potentielle volatilité des marchés de l’électricité et cherchent à s’en affranchir autant que possible à travers ce type de projets.

Pascal Cuche, Freshfields : Je suis convaincu qu’un des gros marchés de demain c’est l’autoconsommation individuelle et collective. Aujourd’hui on a ce défi.

Chloe Roubach, Zilo Énergie : En effet, la question se pose : comment faire se rencontrer les projets et le financement ? At scale, il faut appliquer des modèles de financement de projet ou de titrisation. Créer des SPV (Special Purpose Vehicule) financés par de la dette bancaire ou institutionnelle, permettant une diversification des risques. La problématique est de trouver le financement pour les premiers Assets.

 

MdA : Agnès, vous connaissez bien les différents fonds d’infrastructure, d’impact, transition énergétique, LBO, Ventures. Que vous inspire ?

 

Agnès Rossi, Simmons & Simmons : Pour ce type de projet, ce n’est pas simple de trouver le financement. A ma connaissance il n’y a pas de fonds de capital-risque spécialisé en transition énergétique. Cela étant dit, les fonds d’impact ainsi que les fonds de capital-risque généralistes peuvent se positionner.

Charles Abbey, KPMG : La bonne nouvelle, je trouve, est qu’avec un nombre grandissant d’investisseurs qui incluent dans leurs critères de performance l’atteinte d’objectifs extra financiers et ESG, les actifs contribuant à la transition énergétique et à la décarbonation trouveront plus facilement des investisseurs dans le futur.

Agnès Rossi, Simmons & Simmons : Je crois que les acteurs qui soumettent le carried interest à l’obtention d’objectifs extra financiers ont toujours eu de vraies convictions. Il y a tous les cas de figures possibles et imaginables sur ce type d’arrangements : le carried peut être indexé sur des critères extrafinanciers sur une portion allant de 20% à 50% en tenant compte du montant investi ou non. La détermination des critères extra-financiers est clé.

Maud Minoustchin, Trocadero CP : Chez Trocadero CP, le carried extrafinancier est directement indexé à la performance CO2 du fonds, en ligne avec l’Accord de Paris. C’est finalement assez simple car mathématique.

Agnès Rossi, Simmons & Simmons : cette indexation n’est pas toujours facile à mettre en place et, en tout état de cause, ce n’est pas déterminant dans la décision d’investissement des investisseurs.

 

MdA : On aurait pu aisément penser le contraire. J'y pense. Il y a deux ans, certains d'entre vous étaient présents dans notre table ronde TE et on parlait d’hydrogène, de projets solaires... Aujourd’hui, on a l'impression que la Transition Énergétique est partout ?

 

Agnès Rossi, Simmons & Simmons : La transition énergétique n’est pas un sujet partout…. Ça l’est en Europe mais pas du tout en Asie et aux USA. Quand on parle aux américains de transition énergétique, ils nous répondent Oil & Gaz…

Maud Minoustchin, Trocadero CP : Et en même temps, les Etats-Unis sont capables de mettre des milliers de milliards de dollars sur la table avec leur Inflation Reduction Act. On peut penser que l’accélération va être phénoménale.

Charles Abbey, KPMG : Des plans intéressants existent en Europe, notamment les plans hydrogène et le Repower EU 2030, mais ce qu’il manque toutefois par rapport à l’Inflation Reduction Act (« IRA ») Américain, c’est la vitesse de déploiement et de mise à disposition de ces fonds et subventions et l’absence de lourdeur administrative.

Agnès Rossi, Simmons & Simmons : Il faut se rappeler que les projets aux USA prennent beaucoup de temps car ils sont soumis aux changements politiques au niveau des Etats. En réalité, les besoins en infrastructure aux USA sont bien plus importants que dans l’Union Européenne.

Charles Abbey, KPMG : On constate tout de même que certains constructeurs automobiles sont en train d’arbitrer l’implantation de leurs nouvelles usines de production de batterie ou de véhicule électrique au bénéfice des Etats Unis et au détriment de l’Europe comme conséquence de l’IRA et de sa dimension protectionniste.

Agnès Rossi, Simmons & Simmons : Après peut-on vraiment penser que les pays de l’Union Européenne vont réussir à baisser les émissions carbone en ligne avec les objectifs de l’Accord de Paris avec ou sans des milliards sur la table ?

Vincent Trevisani, Ashurst : L’agence Internationale de l’Energie a émis récemment un rapport sur les énergies vertes et ses conclusions sont très intéressantes. Selon l’AIE, l’avenir climatique de la planète va se jouer plutôt à Jakarta, New Delhi ; Dakar qu’à Washington, Paris ou Berlin. En 2022, 90% des nouveaux investissements dans les énergies vertes ont été déployés dans les pays développés et en Chine ; pour atteindre les objectifs de l’accord de Paris, l’AIE a indiqué qu’il faudrait multiplier par 7 les investissements annuels dans les pays émergents. Il ne faut surtout pas oublier que les parents pauvres de la transition énergétique demeurent les pays émergents. Le coût de l’investissement dans le solaire en Afrique est trois fois plus élevé qu’en Europe en raison de taux d’intérêt plus élevés, d’infrastructures de réseau insuffisantes et de politiques publiques peu claires.

Agnès Rossi, Simmons & Simmons : peu d’ investisseurs investissent dans les pays émergents et ces investisseurs sont toujours les mêmes: les banques/ institutions de développement (Proparco, DFC, BEI…)

Philippine Roy, Zilo Énergie : Si on prend juste notre marché du solaire résidentiel français, on a des objectifs qui sont donnés par l’ADEME de 4 millions de maisons à équiper d’ici 2035. On compte 50 000 installations en 2021, 90 000 en 2022. Il faudrait en atteindre 300 000 par an dès 2024 pour atteindre les objectifs. En France, la hausse se confirme mais une véritable accélération est nécessaire.

Philippe Sciorella, Alantra : Pour revenir sur l’investissement en Afrique. C’est le coût du capital qui est plus cher mais les CAPEX ne sont pas chers. On a eu pas mal de clients qui ont du mal à trouver des investisseurs en Afrique. Ce sont beaucoup d’investisseurs anglosaxons car il y a pas mal de contraintes réglementaires.

Agnès Rossi, Simmons & Simmons : L’Afrique est quand même le continent qui va être le plus touché par le changement climatique. La seule solution pour attirer des financements privés dans ces pays est de structurer des fonds d’investissement en utilisant des instruments de financements publics. Ce type de fonds permet d’attirer des financiers privés sur des projets qui contribuent au développement durable, tout en offrant un profil risque/rendement compatible avec les contraintes des financiers privés. Cette approche permet d’accroître le montant total des investissements dans les pays en développement.

Pascal Cuche, Freshfields : Sur les pays émergents, la transition énergétique présente des difficultés. Par définition, au départ il faut qu’il y ait des amorces publiques. En général, les projets sont adossés à des contrats d’achat de long terme plus ou moins publics. Il faut donc faire confiance à la stabilité du cadre régulatoire et avoir confiance dans la contrepartie souvent publique. Le deuxième frein c’est la monnaie utilisée. Beaucoup d’investisseurs sont assez réticents lorsque les projets sont réalisés en dehors de l’OCDE et lorsqu’ils sont situés en dehors de la zone euro ou dollar.

Agnès Rossi, Simmons & Simmons : C’est pour cela qu’utiliser des instruments de financements publics permet de couvrir le risque de “first
loss”. Les financiers privés dé-risquent leur investissement, le profil de risque s’améliore.

Pascal Cuche, Freshfields : Après on a encore du mal à voir l’impact de la relance du nucléaire. Il estdésormais acté que la relance du nucléaire constituera une pièce assez incontournable de la construction du mix-énergétique nécessaire à la réussite de la transition énergétique. C’est vrai pour la France mais c’est également vrai pour les pays émergents. Quand on voit les délais nécessaires pour développer des projets éoliens offshore (entre 10 et 15 ans) par exemple, on comprend que le nucléaire constitue une alternative crédible y compris en termes de calendrier de développement.

Agnès Rossi, Simmons & Simmons : C’est vrai mais comment fait-on pour financer le nucléaire avec des financements privés ? Aujourd’hui ce n’est pas possible.

Pascal Cuche, Freshfields : c’est à nuancer mais au-delà du financement il y a déjà les enjeux liés au développement des projets eux-mêmes.

Vincent Trevisani, Ashurst : Il faut développer les petits réacteurs modulaires type SMR ou innovants type AMR.. Par leur taille réduite (entre 20 et 300 MW par unité), les SMR et AMR peuvent contribuer à déployer plus rapidement une énergie bas carbone dans monde, en s’intégrant
dans des réseaux électriques de petite taille et dans des zones reculées. En complément du développement des énergies renouvelables. Les SMR et AMR pourraient remplacer les centrales à charbon fortement émettrices de CO2 dans les pays ouverts au nucléaire civil. C’est une brique essentielle de la transition énergétique mondiale. Reste à trouver le financement de ces nouvelles générations de réacteurs.  Une possible solution pourrait être le développement de véhicules d’investissement à capital permanent dédiés à la transition et à la sécurité énergétique.

Maud Minoustchin, Trocadero CP : En revanche, il y a la problématique de la ressource en eau à gérer, indispensable au refroidissement des réacteurs. Et cela ne va pas s’améliorer… Par ailleurs, j’ai une question concernant la chaleur renouvelable ? J’ai l’impression que l’on observe un retour en grâce de la géothermie.

Agnès Rossi, Simmons & Simmons : Je suis d’accord, on voit que certains investisseurs travaillent vraiment sur cette thématique dans le cadre de leur fonds immobilier.

Pascal Cuche, Freshfields : Le verdissement des réseaux de chaleur est lent à mettre en place mais c’est un mouvement qui est profond. Il y a beaucoup d’argent disponible pour cela mais qui n’est pas encore complètement utilisé. Et pour le coup, les pouvoirs publics soutiennent cette démarche.

Agnès Rossi, Simmons & Simmons : Il y a des mesures simples qui seraient très efficaces. Par exemple, si on rendait obligatoire des compteurs individuels dans les appartements cela ferait baisser de 20%-30% la consommation d’électricité dans les foyers.

Philippine Roy, Zilo Énergie : Je partage complètement. Pour les particuliers, pouvoir contrôler leur consommation les pousse à fairebeaucoup plus attention. Chez Zilo Énergie, on veut développer cet axe de suivi des consommations. Nous nous concentrons sur les maisons individuelles pour l’instant, car le marché n’est pas encore suffisamment mature pour les copropriétés, en particulier à cause de la réglementation et des subventions qui ne sont pas encore favorables. Mais on anticipe une évolution de ces dernières qui devrait simplifier les démarches et rendre les modèles d’autoconsommation collective viables.

Pascal Cuche, Freshfields : Il y a un élément dont on n’a pas beaucoup parlé mais qui est une nouveauté : c’est les marchés globaux de performances énergétiques avec des tiers financiers. C’est un peu des “simili” PPP avec des investisseurs privés, ce qui devrait permettre a priori une accélération des programmes de rénovation des bâtiments publics. Beaucoup d’investisseurs regardent cela car c’est un instrument contractuel a priori assez adapté au besoin. Maintenant la question c’est la taille des projets. Mais si on arrive à avoir des projets d’une taille conséquente, cela pourrait vraiment décoller.

Agnès Rossi, Simmons & Simmons : C’est pour cela qu’il faut passer par un fonds qui va structurer les projets.

Pascal Cuche, Freshfields : Exactement. Autre innovation juridique du côté des achat d’énergie par des personnes publiques, ce sont les “Corporate PPA” de long terme. C’est permettre aux collectivités publiques de verdir leur achat d’électricité en achetant de l’électricité verte locale.

 

MdA : Et sur l’hydrogène, quelles sont les opportunités ? On a vu la station à Hydrogène sur l’A61 près de Toulouse mais la France et l’Europe semblent encore à la traîne.

 

Agnès Rossi, Simmons & Simmons : Il me semble qu’il y a encore peud’opportunités. Soit il y a des gros projets internationaux mais très concurrentiels soit des tout petits projets mais trop petits et trop spécialisés pour entrer dans les critères d’investissement des fonds.

Pascal Cuche, Freshfields : Oui il y a beaucoup d’argent pour des projets de grande taille.

Vincent Trevisani, Ashurst : La question de la mise à l’échelle se pose clairement pour les investisseurs qui évaluent les opportunités dans le secteur de l’hydrogène vert.

 

MdA : Vincent, vous nous parliez beaucoup de méthanisation il y a un an. Qu’en est-il aujourd’hui ?

 

Vincent Trevisani, Ashurst : Le secteur du biogaz s’est bien développé en France en 2022 en utilisant la technologie de la méthanisation qui est aujourd’hui mature. La plupart des nouvelles installations dédiées à l’injection dans le réseau sont des méthaniseurs agricoles souvent de taille modeste. Cette croissance s’appuie sur le plan REPowerEU qui vise à accroître la production européenne de biométhane en substitution du gaz russe. Selon l’ADEME, à termela France pourrait produire 130 TWh de biogaz couvrant ainsi environ 30% de la consommation de gaz actuelle. Néanmoins, les projets de méthaniseurs de grande taille ont encore du mal à convaincre toutes les parties prenantes. Le plus grand projet de France (371.000 tonnes d’effluents d’élevage valorisées par an) porté par le groupe danois Nature Energy et une coopérative d’éleveurs en Loire Atlantique a été relancé fin 2022 avec une nouvelle demande de permis de construire. L’acceptation sociale est de fait le défi majeur auquel sont confrontés les sponsors de ces projets.

Chloé Roubach, Zilo Énergie : Et concernant l’hydrogène, il faut garder en tête que sa production est très demandeuse en électricité. Sa production doit aussi être verte pour qu’il le soit vraiment.

Agnès Rossi, Simmons & Simmons : Un point que l’on n’a pas abordé c’est l’approvisionnement en métaux critiques. L’Union Européenne est très en retard. Aux Etats Unis, ils font cela depuis de nombreuses années.


MdA : Maud pour revenir un sujet important qui a été abordé par tous, c’est la décarbonation du portefeuille. Vous levez un fonds article 9. Ces investissements sont-ils compatibles avec la nature de votre fonds, et ce travail de décarbonation est-il valorisé à la sortie ?

 

Maud Minoustchin, Trocadero CP : C’est le pari que l’on fait en accompagnant des entreprises de secteurs plus traditionnels pour les aider à se décarboner. La notion d’ “actifs échoués” commence à s’étendre, à l’image de la liste des exclusions sectorielles chez certains LPs. Des pans entiers de l’économie sont d’ores et déjà exclus s’ils ne correspondent pas aux critères techniques de la taxonomie. C’est le cas du secteur de l’aéronautique ou des engrais par exemple. Notre pipe de dossiers est bien remplie, avec beaucoup de sollicitations de la part d’entreprises qui souhaitent être accompagnées pour se décarboner.